Culture, Loisirs

« Past Lives-nos vies d’avant », une belle histoire à ne pas manquer

A 12 ans, Nora (Greta Lee) et Hae Sung (Teo Yoo) vivent à Séoul et sont les meilleurs amis du monde. Mais les parents de Norah décident de migrer à Toronto. 20 ans plus tard, Hae Sung parvient à retrouver Norah via Facebook. Une complicité renait entre eux avant que les circonstances ne les éloignent de nouveau… 10 ans ont passé, ils se rencontrent finalement à New-York. Et après ?

“Past Lives-nos vies d’avant” de Celine Song avec Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro

Sortie : 12 décembre 2023

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Qui n’a jamais pensé à son premier amour, celui qu’il ou elle éprouvait pour une petite fille de 6 ans ou un adolescent de 15 ans ? Avec la question sous-jacente « et si nous nous retrouvions, que se passerait-il ?». C’est le thème du délicat et très réussi premier film de Céline Song.  Cette réalisatrice canadienne d’origine coréenne s’inspire beaucoup de sa propre histoire et parsème  cette fiction d’indices : elle-même a quitté la Corée à 12 ans pour suivre ses parents, tous deux artistes, et s’installer dans la ville de Markham en Ontario ; elle réside aujourd’hui à New-York avec son mari, l’écrivain Justin Kuritskes.

“Past Lives” développe donc deux thèmes qui s’entrecroisent : la migration et le fait de parvenir à s’inserer dans un lieu qui n’est pas le sien ; l’importance des premiers sentiments d’enfant dans la construction de sa vie d’adulte.

La migration, c’est un déchirement. Les deux enfants se séparent sans effusion, comme s’ils ne réalisent pas ce que le départ de Norah signifie. Adulte, elle s’est américanisée dans ses habitudes de vie et sa manière de penser, allant jusqu’à mieux s’exprimer en anglais qu’en coréen. Hae Sung, lui, est resté très « coréen », un peu plus raide, un peu plus réservé. Céline Song met en parallèle leur parcours de vie : Norah suit le chemin de ses parents, aspirant à une carrière littéraire faite de rencontre et de déplacement ; Hae Sung reste ancré dans des habitudes plus “coréennes” entre les beuveries avec ses amis et les cours à l’université et préfère partir en Chine plutôt qu’aux Etats-Unis. La réalisatrice souligne ainsi que chaque identité se construit avec les hasards de la vie, les opportunités qu’on saisit ou laisse passer. Norah évoque avec pudeur les difficultés de sa jeunesse de migrante. Elle en a fait une force, s’arrêtant de pleurer à la moindre contrariété puisque « il n’y avait plus personne pour la consoler ». Pour elle, Hae Sung symbolise Séoul, un lieu qu’elle a abandonné et qui lui manque. Il fait partie d’un tout complexe.

Cependant malgré toutes ces années, la complicité entre Norah et Hae Sung est toujours là avec ce sentiment de s’être quitté la veille. Mais que faire de cette relation lorsqu’un océan nous sépare ? Le fil directeur est la croyance bouddhiste coréenne du « In-Yun » (le fil du destin), la connexion émotionnelle entre deux personnes qui sont destinées à se croiser. Le terme s’applique à toute relation qu’elle soit sentimentale, amicale, ou familiale. Selon la culture coréenne, un individu est constitué de l’ensemble des rencontres qu’il a pu faire dans le passé et qu’il fera dans le futur.

Céline Song se méfie des clichés sentimentaux et des happy ends hollywoodiens. Selon un sondage réalisé par mariage.net, moins de 2 personnes sur 10 épousent leur premier amour. Le scénario privilégie donc le réalisme et son propos est toujours juste. Norah fait des choix réfléchis et cartésiens tandis que Hae Sung semble s’accrocher à des rêves sans réfléchir à l’après.  Les 3 comédiens (Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro) sont excellents, chacun apportant sa musique personnelle.

“Past Lives” fait partie de ces films délicats et subtiles qui laissent des traces. Et comme la dernière scène est belle !

Une histoire juste à ne pas manquer.

Le film est présenté en avant-première au festival du film de Sundance en 2023 et en compétition au festival du film de Berlin en 2023.

Virginie Hours, reporter pour Color my Geneva – tous droits réservés

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